Abondamment utilisé pour expliquer la stratégie du commerce physique (brick and mortar comme disent les anglophones) en réaction au commerce en ligne (incarné par Amazon), le terme retailtainment renferme de nombreuses manifestations concrètes :

  • Une animation « pop-up » pour une marque dans une station-service ? Retailtainment !
  • Une application VR pour essayer une nouvelle robe ? Retailtainment !
  • La création d’un food-court ou l’ouverture d’un cinéma dans un centre commercial un peu défraichi ? Retailtainment !
  • … etc, les variantes sont sans limites

Funfaircity va s’intéresser au retailtainment qui installe des attractions urbaines et des nouveaux lieux de loisirs dans des cellules commerciales laissée vacantes par des enseignes traditionnels ou bien intégrer un espace commercial dès sa conception (par exemple Odysseum du groupe Klepierre à Montpellier ou bien le récent site Vill’Up de la foncière Apsys).

En vogue depuis déjà plusieurs années dans nos contrées et ayant permis l’installation de nombreuses nouvelles attractions urbaines (espaces d’escalade, de trampoline, escape-games, …), cette tendance connue aussi sous le nom de fun shopping connait une actualité récente tout à fait intéressante :

  • L’opérateur international de grands sites de loisirs (parcs d’attraction, parcs aquatiques, zoos, indoor entertainment, …)  Parques Reunidos était pour la première fois un des sponsors officiels du MAPIC 2017, le grand salon international de l’immobilier commercial qui dispose désormais d’un espace dédié pour les loisirs.
  • Le projet Europacity porté par Immochan et Dalian-Wanda sur le triangle de Gonesse entre Paris et Roissy déchaine les critique.
  • Le troisième mega-mall de la société Triple Five Group – connue mondialement pour ses gigantesques « Mall of America » et « West Edmonton Mall » – est actuellement en chantier dans le New Jersey sous le nom d’American Dream et comportera comme ses grands frères un parc d’attraction indoor, un parc aquatique, et de nombreux autres divertissements.
  • VR Portal à Hautepierre/Strasbourg, Cahem à Mondeville 2/Caen, Virtual Adventure à Carré Senart … on dénombre plusieurs projets ou lieux récents dédiés aux dernières innovations d’immersion VR dans les centres commerciaux.

Et ces sujets sont loin d’être les seuls !

Quelle est la réalité du retailtainment aujourd’hui en France au regard du reste du monde ? Quels sont les enjeux économiques d’un tel mélange d’activité ? Assiste t’on réellement à une folie des grandeurs ? Pour tenter d’y répondre, funfaircity a mené deux entretiens croisés avec :

Gilles DEVENDEVILLE est Senior Asset Manager Marketing et Opérations pour un fonds souverain Emirati et fondateur de REAL (Retail Entertainment Activation Leisure) un Think Tank qui étudie les tendances émergentes en terme de retailtainment et conseille d’importantes foncières sur leur stratégie loisirs indoor.

REAL est également une société qui, outre les études de faisabilité, analyse l’opportunité économique (profit and loss) des concepts et détermine les chiffres d’affaires et loyers potentiels (ou la quote-part structurellement déficitaire parfois que se doit d’assumer le bailleur). REAL s’attache également parfois à des «tours de table» réunissant les partenaires financiers / exploitants / contractants.

Gilles DEVENDEVILLE approfondira l’ensemble de ces sujets lors des prochaines « Master Class » du retailtainment lors du prochain MAPIC (14-16 Novembre 2018 à Cannes).

 

René Paul DESSE est professeur d’urbanisme à l’Université de Bretagne Occidentale (Brest) et a suivi l’évolution de l’appareil commercial français depuis plus de trente ans.

L’Urbanisme commercial est son premier champ de recherche. Membre de la Commission de Géographie du commerce du Comité National Français de Géographie depuis 1987, et président depuis 2005, il a travaillé sur l’évolution des espaces commerciaux puis sur la mobilité des consommateurs.

René-Paul DESSE a publié il y’a un peu moins de vingt ans une étude relative à l’arrivée du concept de retailtainment ou fun-shopping en France qui a servi de base à cet entretien.

 

RETAILTAINMENT : UNE DEFINITION ?

Gilles DEVENDEVILLE

Le terme « retailtainment » semble renfermer plusieurs significations selon qu’on se place du côté du vendeur (qui va chercher à diversifier son activité au-delà du simple acte de vendre afin de conserver sa clientèle ou d’en attirer une nouvelle) ou de l’acheteur (qui va plus rechercher une expérience unique, divertissante à vivre seul ou en groupe et partageable après coup).

Quelle serait votre définition du terme « retailtainment » considérant votre activité professionnelle du moment ?

La définition du concept de retailtainment est simple (néologisme en langue anglaise traduisant une association du commerce et du divertissement) mais ses applications visant à la transformation d’un centre commercial ou d’un point de vente en un lieu de divertissement ou de loisirs sont multiples et complexes.

« It is all about experience » : la recherche d’un parcours client fait d’expérience et d’interactions renvoie tout à la fois à des perceptions universelles (aspiration collective à l’émotion positive) et particulières (chacun ayant sa propre définition du plaisir et de son champ d’expression). Demander « qu’aimez vous ? » a chacun de ses clients entrainerait une multitude de réponse qu’il serait impossible de satisfaire de manière unique.

De plus, le retailtainment envisage autant de susciter l’envie que de répondre à un besoin. Un bon exemple serait le modèle de la pyramide des besoins (dite de Maslow) mais cette fois sans hiérarchie :

  • Manger : les Food Courts / Food Hall (concentration gastronomiques)
  • Vibrer : les « attractions » (physiques ou virtuelles), le cinéma, les pôles de jeux
  • Apprendre : théâtres, cours de chant, de danse, expositions (arts et culture intègrent la tendance), compétitions, concours
  • Inter-agir : conciergerie, robots, hologrammes, IOT

La liste est sans fin comme le sont les émotions …

 

René-Paul DESSE

Votre analyse de 2002 prend comme référence certains projets ou enseignes basés sur le principe du retailtainment (NoBoys, Keria, Orchestra, Libercité, Ludocéane, …) qui n’ont pas abouti ou n’ont pas atteint le niveau de développement souhaité. 

A contrario, d’autres sites cités (Odysseum, Bercy Village, …) ont pleinement tenu promesse et ont même poursuivi le développement des loisirs dans leur stratégie.

Sur la base de ce bilan, comment caractériseriez-vous l’application française du concept de retailtainment ?

Cette étude, publiée en 2002 a été menée en 2000 – 2001 – soit il y’à bientôt vingt ans – selon une approche géographique et économique. A cette époque, la perception du phénomène était bien un mouvement général en provenance des Etats Unis d’Amérique et donc l’objectif était de dynamiser par le loisir au sens large (restaurants, cinémas, culture, attractions, …) les anciennes zones ou équipements commerciaux des années 1980 ou bien d’influencer la conception des zones en développement.

Le cas d’étude du centre commercial et du parc d’attraction de la Toison d’Or ouverts en 1990 à Dijon (1) montre que l’idée d’associer à du commerce une offre importante de loisirs n’était pas nouvelle mais qu’elle était trop précoce (d’autres parcs d’attraction de cette époque ont fermé : Mirapolis à Cergy Pontoise, Zygofolis à Nice) et inadaptée au modèle du centre commercial d’alors.

Le retaitainment des années 2000 a plutôt conduit à une large diffusion des espaces de restauration, des multiplexes de cinémas et des sites de karting et de bowling.

Au-delà de ce cas général, trois centres commerciaux sont emblématiques d’une vision plus riche et intégrée du retailtainment tel qu’il peut exister en France :

Odysseum à Montpellier : C’est un vrai projet d’intégration Loisirs/Commerces à vocation urbaine (lien Tramway vers le centre-ville et à terme vers l’aéroport. Sa conception remonte à l’époque de George Frêche et malgré l’opposition des autres commerces du centre-ville, Odysseum a vu le jour avec une importance offre de loisirs dès son ouverture et poursuivi ensuite son développement sur cette thématique. Deux facteurs à noter pour cette réussite : la gestion de certains équipements de loisirs par une Société d’Economie Mixte liant les intérêts publics aux intérêts privés et une population favorable (public étudiant plutôt aisés, familles, tourisme important, … ).

Atlantis à Nantes / Saint Herblain : Autre morphologie possible du retailtainment urbain à la française avec, sur une ligne de tramway, un centre commercial central qui comporte deux multiplexes (Pathé et UGC) et une offre importante de restauration. Il diffuse dans sa périphérie (le long de la route nationale) une offre importante de loisirs complémentaire : on y trouve notamment le Zenith de Nantes Métropole, relié par une passerelle, du bowling Laser-Game, un SPA, du Karting. C’est un attracteur très fort de la région qui draine du public depuis d’autres villes moyennes de la région qui, à, l’image de Saint Nazaire, ont des difficultés à dynamiser leur commerce de centre-ville malgré des investissements récents (exemple le Rubain Bleu à Saint Nazaire – Apsys).

Bercy Village / Paris : Développé par Altarea au début des années 2000, c’est un cas très particulier de centre commercial/loisirs très urbain et haut de gamme réservé aux grandes métropoles disposant d’un public aisé et d’un tourisme important. Centre de sport (à l’époque Club Med Gym) premium et très équipé, multiplexe et offre variée de restauration associées au caractère patrimonial affirmé font de ce site une référence de choix encore aujourd’hui : le récent centre commercial Vill’Up (Apsys – La Villette à Paris), relève de ce même esprit.

  1. Ouvertes en 1990 en même temps que le grand centre commercial de la Toison d’Or à Dijon, deux infrastructures majeures de loisirs n’ont pas résisté. Le parc d’attraction a fermé après trois ans d’exploitation, a vendu toutes ses attractions et est aujourd’hui un parc public. Le parc aquatique a été supprimé en 2002 à l’occasion de la reconfiguration de l’entrée du centre consécutif de l’arrivée d’une ligne de Tramway. 

 

LOISIRS ET COMMERCES : DEUX METIERS COMPATIBLES ?

Gilles DEVENDEVILLE

Du point de vue d’un centre commercial, le raisonnement suivant a-t-il encore du sens aujourd’hui : « Je vais attribuer des cellules ou de l’espace commun (type « pop-up ») à une activité de loisirs/divertissement pour un loyer modeste car le modèle économique ne permet pas une grande rentabilité mais je vais en tirer un bénéfice d’image et d’attractivité et je vais m’y retrouver grâce à la fréquentation » ? Le loisir en centre commercial peut il être une attractivité en soi ou doit-il forcement être au service du commerce « classique » ?

La question posée devrait être : « En quoi l’élément expérientiel associé aux loisirs peut-il valoriser mon capital de marque ? ».

Une vision limitée à un simple business plan va en effet voir dans les loisirs une activité consommatrice d’espace, peu rémunératrice en loyer et dont la capacité en attraction du public est difficilement quantifiable. Une vision capitalistique impliquant la notion de Goodwill (différence entre l’actif net du bilan d’une entreprise et sa valeur de marché) permet quant à elle de voir au-delà de la rentabilité en surface en déterminant la valeur de marché du bien dans son ensemble, loisirs y compris.

Cette valorisation est quantifiable au bilan dans les pays anglo-saxons mais son immatérialité la rend plus difficilement exploitable en Europe. C’est une des causes de son retard dans le développement du retailtainment.

Aujourd’hui il y a consensus à considérer le loisir sous toutes ses formes comme une locomotive, un produit d’appel et un soutien objectif aux commerce classique car :

  • Il donne des opportunités de premières visites à des cibles non naturelles (premium avec les magasins « Pop-Up » de luxe ou l’art – séniors avec la culture et les services adaptés – milleniums avec la technologie et le sensationnel ou la musique etc …)
  • Il augmente la durée de séjours (les plus grands Malls étant vendus par des Tour Operateurs sur plusieurs nuitées)
  • Il optimise le taux de transformation (rapport du nombre d’actes d’achat par rapport au nombre de visites) au notamment grâce à la restauration.
  • Il énergise le panier moyen avec un budget loisirs qui existait déjà mais qui était réservé à d’autres opérateurs classiques (parc d’attraction/de loisirs – musées – salles de concert, …)

 

René-Paul DESSE

Cela semble anecdotique mais les sites web des grands centres commerciaux français ne mettent presque jamais en avant leurs composantes loisirs et classent ces activités dans les « Boutiques » (par exemple Odysseum pourtant bien doté en loisirs). Est-ce révélateur d’une différence toujours profonde de métiers entre le commerçant et l’opérateur d’espace de loisirs ?

La différence de métier est effectivement très forte malgré le point commun qui est la nécessité d’attirer un large public pour un ou plusieurs actes d’achat ou bien une expérience de loisirs.

Aujourd’hui on constate surtout un éparpillement des attractions de loisirs autour des grands centres commerciaux (cf. ci-avant autour d’Atlantis mais également autour des centres les plus récents comme l’Atoll à Angers et The Wave à Metz). Le centre commercial conserve sa fonction principale de machine à vendre et seules des offres de restauration sont proposées pour varier l’expérience. Les sites de loisirs vont alors s’installer autour de ce nouveau pôle car :

  • Les loyers seront bas et les surfaces importantes, en particulier s’il s’agit de locaux vacants suite au déménagement de grandes enseignes dans le nouveau pôle. Les prix d’entrée seront ainsi modiques et permettrons d’accueillir un large public (modèle à titre d’exemple des sites de jeux indoor pour enfants dont le tarif d’entrée est faible et dont la rentabilité est assurée par les consommations).
  • L’absence de visibilité se compense par un guidage GPS (la voiture étant encore souvent indispensable pour se rendre dans les pôles de dernière génération) et une interactivité de réseaux sociaux dont tout le monde dispose aujourd’hui.

Avec cette approche, le loisir s’assimile alors à une activité de hard discount et la bonne appréhension des niveaux de pouvoir d’achat dans la zone de chalandise est déterminante pour comprendre la forme de loisirs qui s’y génèrera.

Cette analyse relative au pouvoir d’achat d’une zone donnée nécessite également de souligner que le recours aux loisirs n’est pas la seule stratégie des commerces pour se renouveler (notamment face au commerce connecté). La réussite d’enseignes telles que Primark montre que se recentrer sur son métier premier, la vente, peut tout à fait être payante.

Le développement d’une offre de loisirs serait ainsi une conséquence, là où le bassin de population est suffisant, de la création de nouveaux pôles de commerces et non un développement conjoint avec eux.

 

HYPER-RETAILTAINMENT : LA FOLIE DES GRANDEURS ?

Gilles Devendeville

L’intensité que l’on pourrait qualifier d’ hyper-retailtainment est incarné depuis plusieurs années par un acteur comme Triple Five Group avec ses mega-mall à parcs de loisirs de West Edmonton et de Mall of America. Ces modèles restent encore rares mais engendrent de très nombreux projets (dans les Emirats, en Asie, en Russie, à Bruxelles avec Néo/Europea,…). Diriez-vous que votre expérience d’expert-conseil dans des malls à l’étranger permet de préfigurer un avenir possible des espaces de commerces en France à l’image de la tentative d’Immochan et de Wanda sur Europacity ?

L’Europe doit trouver un modèle à son échelle et à ses moyens car il existe des différences majeures qui rendent rares la faculté de dupliquer les modèles étrangers.

On peut cependant d’ores et déjà relever les limites suivantes à l’hyper-retailtainment :

  • Les réserves foncières 

Les projets structurants de loisirs comme les parcs d’attractions ou de loisirs s’étendent sur plusieurs hectares, ces réserves foncières n’existent plus en Europe occidentale sur les couronnes urbaines ou alors il faut s’excentrer, auquel cas, l’attractivité naturelle étant plus faible, c’est effectivement la course au gigantisme.

  • Le prix du foncier

Si ces surfaces s’avéraient toutefois disponibles, leur coût serait alors prohibitif ou en tout cas ne pourraient jamais être refacturées en totalité aux enseignes attendues.

  • L’absence de modularité des concepts

C’est toute la magie du retailtainment : transposer indoor sur peu d’emprise des activités outdoor demandant naturellement beaucoup d’espace, soit les miniaturiser afin de limiter les contraintes d’installation.

C’est l’explication de l’explosion des applications en digital – de la VR (Virtual-Reality), AR (Augmented-Reality) et des concepts de poche et simulateurs de surf, ski, conduite, …

  • L’absence d’opérateurs

Apporter des loisirs de manière pérenne, structurante et non plus évènementielle dans des lieux qui n’en comportaient pas suppose – en plus de l’investissement – de trouver un opérateur, disposant d’un bon modèle économique et capable de verser un loyer.

Aujourd’hui ces opérateurs sont rares car c’est un métier bien précis qui n’est ni celui des foncières ni celui des fournisseurs. On peut trouver des cas d’exploitation à perte mais cette perte contribue à valoriser le site de manière directe (le Goodwill défini ci avant) ou bien indirecte (l’image).

  • L’absence d’investisseurs

De nombreux concepts de loisirs sont livrés certes clés en main mais un investissement initial est requis. Il provient soit du propriétaire du site, soit d’une structure dédiée en joint-venture avec lui. Pertes et profits sont alors partagés en fin d’exercice.

Les grandes foncières européennes sont réfractaires à ce procédé car leur comportement s’apparente à celui d’un strict bailleur en pleine propriété qui peut lisser les résultats de tous les secteurs ou bien compenser les loyers d’un secteur à l’autre. Ce que ne permet pas une création de société adhoc.

En conclusion, l’avenir sera donc festif et faiseur de rêves mais va aussi devoir se professionnaliser tant chez les fabricants et fournisseurs que chez les foncières mais c’est à ce prix que le Retail saura se « ré-enchanter » :

  • Les fabricants doivent modulariser leur concepts et créer des « activations » pour entrer dans les malls : vers une division « retailtainment »  chez les fabricants ?
  • Les fournisseurs doivent non seulement livrer et installer mais « raconter une histoire » et créer une « théâtralisation – un univers »  au concept : vers un métier de « directeur artistique loisirs » ?
  • Les foncières doivent accompagner les exploitants et faire leurs études de marché, les plans marketing voire offrir le premier point de vente (exemple des « Labs » Unibail et Westfield) : vers un métier de « Leisure Manager » ?

 

René-Paul Desse

Vous citiez les mega-malls de Triple Five Group (West Edmonton, Mall of America et depuis un nouveau projet en développement dans le New Jersey : American Dream) comme référence inenvisageable pour l’Europe. Depuis l’échec de la Toison d’Or (cf. ci-avant), qu’est ce qui a changé en France pour que devienne possible (malgré les écueils juridiques) un projet comparable de mega-mall tel qu’Europa City ?

L’essor du commerce connecté a été la principale évolution ayant pu conduire à la création de projets de ce type. Il a bousculé les grandes enseignes françaises de la distribution, bien installées et peu remises en question jusqu’alors. Ailleurs en Europe, certains grands pôles mixtes loisirs/commerces ont vu le jour il y’a plus de quinze ans (par exemple le centre Xanadu à Madrid qui comporte outre un cinéma, l’unique piste de ski indoor d’Espagne, un bowling, un minigolf, une tyrolienne, …).

Ailleurs dans le monde c’est parfois une concentration de population à fort pouvoir d’achat qui génère un important équipement de commerce/loisirs. En lointaine banlieue de Santiago du Chili, au pied des Andes se trouve ainsi Mallsport qui rassemble enseignes sportives et activités diverses (surf, escalade, trampoline, accrobranche, …) destinés à une clientèle jeune, sportive et susceptible d’utiliser leurs achats dans les montagnes toutes proches ou sur l’océan pacifique à une centaine de kilomètres de là.

Le risque aujourd’hui est de voir trop grand. Pas nécessairement d’un point de vue économique et commercial mais d’un point de vue urbain et territorial. Europacity est aujourd’hui très contesté et malgré la confiance des développeurs/investisseurs rien ne dit que ce projet pourra se concrétiser. Les oppositions aux grands projets sont aujourd’hui très fortes et structurées et la sensibilité du public et du monde politique à la protection des zones naturelles et fertiles est de plus en plus accrue.

Une approbation en CDAC (Commission Départementale d’Aménagement Commercial) a aujourd’hui peu de sens car les élus qui y siègent privilégient les créations d’emploi et les résultats en demi-teinte des centres commerciaux locaux les plus récents (par exemple Aeroville) ne seront pas pour aider.

S’il avait été proposé sur les anciennes friches PSA de l’autre côté de l’autoroute (mais cette fois en Seine Saint Denis et non plus dans le Val d’Oise comme sur le triangle de Gonesse) l’approche aurait été tout à fait différente avec la création d’emplois sur un ancien site industriel et une manière de traiter la contrainte de pollution autrement qu’avec un quartier de ville classique.

En France aujourd’hui les grands centres commerciaux de périphérie ou de centre-ville vivent encore bien contrairement aux équipements plus petits. Ils n’ont donc aujourd’hui pas besoin de varier leurs activités pour attirer ou retenir un public.

Ce type de développement n’est donc pas généralisable et reste attaché à une localisation très particulière entre une capitale très touristique, un aéroport international et également sur un flux de rocade routière – et à l’avenir ferrée – très important. Les métropoles régionales (taux de vacance commercial faible) parviennent à maintenir un développement relativement équilibré centre/périphérie pour le commerce et également pour les activités de loisirs mais dans les villes moyennes (taux de vacance commerciale élevé), l’effet de rocade sur la zone de chalandise rend, sauf exception, quasi-impossible tout développement important de commerce et donc de loisirs dans les centres villes.

 

L’appareil commercial français, fort de son ancrage territorial et de son poids économique semble dans son ensemble ne pas encore ressentir le besoin de se réinventer par le divertissement, autrement qu’en appliquant des recettes éprouvées. En effet, les « dead-mall » n’existent pas encore en France et de nombreux territoires voient encore dans les centre commerciaux l’unique solution pour retrouver du dynamisme économique et créer des emplois.

Néanmoins, l’appétence du public pour des expériences nouvelles, récréatives, interactives et divertissantes s’accentue et c’est un réseau plutôt déstructuré d’initiatives ponctuelles qui y répond aujourd’hui en trouvant de la place là où il y en a, d’ailleurs souvent dans d’anciens espaces commerciaux délaissés.

Les projets du type d’Europacity, les plus aboutis en matières d’intégration commerce/loisirs/culture sont également les plus consommateurs d’espaces et les plus décriés dans le débat actuel opposant les centres villes et les centres commerciaux de périphérie. Aussi les freins à leur développement sont aujourd’hui nombreux malgré la puissance des foncières qui les portent.

Entre des lieux de loisirs très compacts (VR, simulateurs, …) ou « pop-up » capables de s’insérer dans les emprises les plus réduites et des vrais « Indoor Entertainment Center » de plusieurs centaines de mètre carrés (Kidzania, Lionsgate Entertainment City, …), le champ des possibles est vaste et les prochaines interactions entre commerce et loisirs vont de toute évidence rester passionnantes à observer dans les années à venir.

Merci à M. Devendeville et à M. Desse pour la richesse des entretiens accordés.