Cet été, à quelques jours d’intervalle, deux ouvertures de parcs ont eu lieu : le nouveau Jardin d’Acclimatation à Paris – réouverture après plusieurs mois de travaux – et le Parc Spirou à côté d’Avignon, tout neuf celui-ci.

En dehors du public cible, difficile de faire plus opposé que ces deux parcs, en effet :

Jardin d’Acclimatation

Parc Spirou

Antériorité

Parc très ancien, à l’histoire riche et mouvementée. Parc tout neuf conçu et construit d’un seul tenant.

Thème

Sans thème unique, le jardin prédomine. La rénovation a apporté un thème dit « retro-futuriste » / « Steam Punk » à la plupart des attractions. Thème unique autour de l’univers BD des éditions Dupuis (Spirou bien sûr mais également le Marsupilami, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, …)

Localisation

Desserte

Au cœur de la métropole de Paris, desservi par les transports en commun. Hors agglomération, au bord d’une départementale 2×2 voies Avignon-Carpentras.

Voisinage

Ville constituée : Fondation Louis Vuitton, Bois de Boulogne, La Défense, Palais des Congrès de la Porte Maillot.

Travaux en cours pour la rénovation de l’ancien musée des Arts et Traditions Populaires.

Ville en devenir : Parc Aquatique Wave Island, Wave Corner (vague surf artificielle), Lac de Monteux (Base de Loisirs), restaurants, Eco Quartier de Beaulieu (en réalisation)

En projet : un complexe hôtelier / SPA-Balnéo.

Tarification

29 € pour un pass tout compris ou tarification « pay per ride » sur la base d’une entrée au jardin à 5€ et des carnets de tickets. Forfait tout compris (Adulte 32 € / Enfants : 25€).

Promotions à la demi-journée.

Public cible

Fréquentation

Famille avec jeunes enfants

Public de la fondation LVMH (billet groupé)

Famille avec jeunes enfants

Objectif de 300 000 visites pour la première saison

Développement

Évolution

Pas de nouveau développement attendu suite à la rénovation. Le parc annonce disposer d’une réserve en superficie et en financement (50% consommé)

Objectif d’une à deux nouveautés par an (attraction aquatique & Réalité Virtuelle pour les prochains projets)

Note

Trip Advisor

4 pour 1 000 avis 3.5 pour 281 avis

 

En dehors de cette simple analyse comparative qu’en est-il en ce qui concerne le ressenti et l’expérience visiteur ? (NDR : parcs non visités, synthèse basée sur des lectures et des entretiens avec des professionnels du secteur) :

Le Jardin d’Acclimatation présente des qualités naturelles importantes dues à son histoire. Les attractions sont discrètes et s’effacent derrière le jardin de grande qualité et le bâtiment très remarquable de la fondation LVMH. La récente rénovation a apporté de nouvelles attractions cohérentes par rapport au public cible, diversifiées et bien intégrées dans leur thème. On y trouve de l’ombre et des jeux d’eau. La tarification en « pay-per-ride » qui sépare l’entrée au parc des attractions en fait un lieu où l’on se rend et où l’on retourne facilement et dont le prix est attractif malgré sa situation en plein Paris.

Jardin Acclimatation

Le Parc Spirou a donné à son ouverture une impression très différente. Le grand public semble avoir apprécié l’accueil mais les avis d’expert sont très négatifs quant à la conception du site, à son fonctionnement et au choix de ses attractions. Outre l’impression de chantier fini précipitamment, le parc manque d’ombre et de fraicheur malgré le climat de sa région, les files d’attente ne sont pas couvertes, les allées ne sont pas adaptées au flux de visiteurs, les pelouses sont piétinées, il manque d’activité aquatiques, les premières dégradations sont visibles après seulement trois mois d’ouverture, l’immersion de haut niveau promise semble ne pas être au rendez-vous.

Pourtant, le parc offre trois grand-huit et une attraction dite « Tunnel Immersif » qui suppose un lourd investissement pour être de qualité, ce qui n’est pas le cas. Au regard du prix d’entrée, parmi les plus élevés après les grands parcs d’attraction du pays, la déception peut être forte et l’envie de revenir absente. Il est toutefois nécessaire d’attendre la fin de la saison pour savoir si le parc a atteint ses objectifs et s’il peut engager des améliorations pour la saison suivante.

Parc Spirou

Seul l’avenir montrera si le Parc Spirou trouve son public et parvient à se développer. Dans l’attente, au-delà d’un parc seul, une mauvaise expérience visiteur peut être préjudiciable à l’image des parcs d’attractions en général et susciter un sentiment de méfiance auprès du visiteur potentiel quand bien même ce type de loisirs est souvent plébiscité.

Il serait dommage d’en arriver là et d’y rester quand on connait les difficultés pour réaliser et pérenniser un tel projet (cf. ci-après). De cette crainte est venue la question : « Faut-il encore construire de nouveaux parcs d’attractions en France ? »

 

Un contexte français hostile aux nouveaux parcs ?

En France, les projets de type Parc Spirou ne manquent pas. On parle depuis longtemps d’Héroïc Land à Calais (anciennement Spyland) et d’un parc sur le thème de Napoléon à Montereau-Fault-Yonne (77) sur le modèle du Grand Parc du Puy du Fou (spectacles et attractions immersives). Plus récemment c’est un parc de la BD en périphérie d’Angoulême tandis que l’Occitanie réclame toujours à corps et à cri « son » grand parc d’attraction.

Les investisseurs et opérateurs ne se bousculent pour autant pas au guichet d’entrée. En effet, un projet de parc neuf suppose aujourd’hui :

  • des moyens considérables, dès l’ouverture mais également pour les nouveautés à suivre et l’entretien
  • une consommation de foncier très importante dans un contexte d’étalement urbain tout autant surveillé (associations, collectifs,…) que concurrentiel (logistique, e-commerce, logement individuel,…)
  • des procédures règlementaires longues et complexes pouvant susciter des oppositions (on pense aux ZAD opposées aux projets de Center Parcs), des recours et des jugements défavorables (cf. Europacity)
  • un soutien des collectivités publiques, notamment en matière de réalisation d’infrastructures, mais qui s’avère de plus en plus rare en période de tension budgétaire
  • un bon équilibre d’attractions pour tous les publics et toutes les conditions météo (intérieur/extérieur) ainsi qu’une disponibilité des fabricants pour les livrer (délais pouvant aller jusqu’à deux ans pour les attractions les plus complexes.
  • plusieurs années de rodage (fonctionnement des équipes, développement du volet paysager,…) soumises aux aléas de fréquentation, de météo et d’actualité (aspects sécuritaires notamment).
  • une clientèle ! Et ce dans un marché qui, s’il n’est pas non plus à saturation, est tout de même bien occupé de sites de loisirs nombreux, variés et qui constituent autant de points de références pour des visiteurs exigeants.

Toutes ces conditions impliquent nécessairement des délais de montage et de réalisation très long pouvant remettre en cause les hypothèses initiales de conception et d’étude de marché.

Les collectivités persistent toutefois à les encourager dans leurs politiques car il est vrai que ce type d’équipement, s’il est réussi, reste un facteur de développement économique – voire de reconversion – de développement touristique, de création d’emploi direct / indirect et de changement d’image d’un territoire. Toutefois :

  • Quand on parle de collectivités, encore faut-il que toutes les échelons impliquées (commune, intercommunalités, département, région et autres éventuels syndicats mixtes) s’accordent entre eux et tirent la corde dans le même sens, ce qui n’a rien d’évident quand des bords politiques s’affrontent sur un même territoire.
  • Faute d’investisseurs et d’opérateurs, ces parcs en restent souvent à l’effet d’annonce ou aux couteuses études parfois financées avec de l’argent public. Le bilan est plombé avant même d’avoir démarré.
  • Quand bien même l’investisseur est trouvé, le résultat n’est pas garanti pour autant dans la durée. Le risque essentiel est une baisse de la qualité par rapport aux prévisions et un tarif d’entrée maintenu élevé pour garantir un bilan d’exploitation bénéficiaire. A défaut, c’est la fermeture et une friche à gérer après le démontage des attractions (cf. Mirapolis).

Si l’on prend l’exemple du principal opérateur français, la Compagne des Alpes, ses dernières créations de parc n’ont pas vraiment été un succès (cf. Bioscope) et sa stratégie repose désormais sur de la croissance externe (rachat d’autres sites de loisirs), le développement de ses actifs et la recherche de nouveaux concepts.

Chez nos principaux voisins européens les créations de parcs sont très rares en dehors des cas particuliers de la Pologne ou de la Turquie qui rattrapent un retard d’équipement vis-à-vis d’une population dont les demandes évoluent vite.

 

Les modèles générant la meilleure qualité d’expérience

On observe aujourd’hui que les sites de loisirs et les attractions offrant la meilleure qualité d’expérience sont :

  • Ceux qui ont bénéficié immédiatement d’un lourd investissement (Disney, Universal, …), d’une expertise aboutie, de travaux soignés, d’un développement marketing poussé et qui continuent à faire l’objet d’investissements.
  • Ceux qui ont démarré petit, qui ont grandi avec leur public en s’adaptant sans cesse à leurs envies (Puy du Fou en France, Europa Park en Allemagne, Alton Tower en Angleterre, Efteling en Hollande, Liseberg en Suède, …), qui sont devenus de véritables destinations avec hôtellerie, parcs aquatiques et dont la success story semble ne jamais vouloir s’arrêter.
  • Ceux qui proposent sur une surface bien limitée et bien localisée un concept si pertinent qu’il se suffit à lui-même (Miniatür Wünderland, Koezio, Escape Lab, Two Bit Circus, …)

Les principaux gros complexes de loisirs comportant un ou plusieurs parcs se construisent aujourd’hui dans des contextes économiquement favorables (Abu Dhabi, Ile du Hainan en Chine, Asie du Sud Est, …) mais même là, les projets demeurent incertains (faillite du complexe « Dubailand » par exemple).

Les autres complexes, Disney en tête, poursuivent le développement de leurs complexes existants avec nouvelles attractions, de nouveaux hôtels et autres expériences annexes et misent sur les nouvelles technologies et les start-up (The Void, …).

Outre cette course au gigantisme, on constate aussi que les technologies déployées semblent abroger progressivement les distinctions entre les parc d’attraction et la ville : files d’attente virtuelles, reconnaissance faciale ou « magicband » Disney à l’entrée, réduction de l’emprise au sol des attractions grâce au mix-media, principe du « cashless », usage du smartphone, …

Est-ce en s’affranchissant de ses limites et de son identité de parc que celui-ci cherche à améliorer son expérience ? Le parc devient-il ville ?

En réaction (volontaire ou non), on observe que les grandes métropoles accueillent de plus en plus d’animations et d’équipements dignes d’être appelés « attractions » : escape games, arcades VR/hyper-réalité, grandes roues, parcs aventure indoor, Indoor Entertainment Center à thème, grands toboggans, simulateurs de chute libre, aires de jeux aquatiques, tyroliennes, théâtre immersif, … La ville devient-elle parc ?

 

Des alternatives crédibles ?

Le propos n’est pas ici de condamner à disparaitre les parcs d’attractions traditionnels de plein air « à la journée ». En effet, c’est maillon complémentaire indispensable entre les parcs-villes et les villes-parcs, dont l’échelle est pertinente sur des segment précis (famille avec jeunes enfants) et dont la créativité rivalise souvent avec les plus grands. Un développement continu, une gestion adaptée (aléas climatiques, localisation), une diversification (Parc du Petit Prince qui a succédé au Bioscope) ou bien une spécialisation (Terra Botanica) restent nécessaires afin d’assurer un développement pérenne.

Le propos est ici plutôt de chercher des alternatives à ces quantités de nouveaux concepts de parcs souvent hasardeux promettant monts et merveilles aux acteurs locaux et aux visiteurs.

En guise de conclusion, on pourrait donc esquisser trois stratégies d’avenir :

  • Expérimenter l’« avant-parc » :

L’expérience du festival, du salon ou de l’exposition événement sur une durée limitée pourrait être une manière de tester une expérience sur un public, d’appréhender la réaction d’un territoire et de ses acteurs avant toute installation « en dur ». En effet :

Les grands festivals de musique prennent aujourd’hui des dimensions considérables (Tomorrowland, Hellfest, …) et intéressent l’IAAPA, l’association qui rassemble les grands parcs d’attraction du monde entier.

On commence à voir des expériences assimilables à des attractions dans des grands salons et conférences comme le Comic Con, le South by Southwest à Austin et cette année aux Utopiales à Nantes avec Geekopolis XP.

Les « expositions événements » itinérantes sur Star Wars, Harry Potter ou encore Game of Throne emportent un grand succès et comportent souvent des innovations dans leur scénographie, qui s’approche alors de celle des parcs à thème.

  • Ancrer le « parc-ville » dans son territoire :

Se concentrer sur les sites existants (petits et grands parcs, zoos, bases de loisirs…) en favorisant leur développement en cohérence avec le territoire (emploi, déplacements, exploitation eco-responsable, …). C’est ce qu’on constate avec des projets hôteliers toujours plus présents et avec des démarches vertueuses telles que la valorisation de la biomasse dans les zoos par exemple.

  • Structurer la « ville-parc » :

Miser sur le développement d’attractions urbaines indépendantes ou structurées en réseau, d’emprise et de coût réduits, diffusées dans des agglomérations intenses et attractives, en centre-ville ou dans des grands centres commerciaux ou stades, mutables et renouvelables facilement.

Funfaircity axe son travail de veille et de prospective sur ce troisième axe (cf. : Le Manifeste). En approfondissant ce scenario, on pourrait imaginer un opérateur unique exploitant une dizaine d’attractions (par exemple, escape-games immersifs, arcades VR/hyper-réalité, grande roue, parcs d’aventure indoor, Indoor Entertainment Center à thème, grands toboggans, simulateurs de chute libre, aires de jeux aquatiques en plein air, tyroliennes, flying theater, théâtre immersif dans une friche, ou d’autres encore issue de notre dictionnaire) dans une métropole, organisant un ou deux grands évènements saisonniers (Halloween, compétition d’eSport,…), fêtes ou festivals (type fête des lumières à Lyon, fête du fleuve à Bordeaux, Printemps de Bourges,…) ainsi qu’une fête foraine à thème (type Winter Wonderland à Londres).

La ville de Berlin qui comporte cinq attractions indoor du groupe anglais Merlin Entertainment (Legoland Discovery Center, The Dungon, Little Big City, Madame Tussauds et Sea Life) pourrait déjà préfigurer cette configuration. Peut-on aller plus loin ?

Les attractions urbaines mutualisent les services offerts par la ville (voirie, stationnement, hôtellerie, restauration, services, …), l’opérateur peut ainsi concentrer son investissement et son exploitation sur des attractions à haut niveau d’expérience et favoriser des partenariats avec les acteurs économiques en place, les élus et pourvoyeurs de services.

Les villes, les programmes immobiliers complexes sont de plus en plus capables de générer des espaces ou des volumes permettant d’accueillir des attractions. Les villes comportent également des espaces de friche ou de vacance commerciale qui sont de plus en plus investis pour des activités culturelles ou productive. Quant à eux, les espaces publics se renouvellent constamment pour accueillir plus d’usages et d’évènement.

A cet égard, il est intéressant de constater que la ville de Calais, qui pousse le développement d’un hypothétique et couteux « Heroïc Land » en périphérie a en même temps fait appel à la compagnie des machines pour la création de ses dragons, homologue nordiste du célèbre éléphant de l’ile de Nantes. Un virage salutaire ?

 

En effet, si l’on associe cette capacité d’accueil à une demande d’expériences toujours renouvelée par les populations urbaines locales ou les visiteurs extérieurs, le futur du divertissement passe immanquablement par la ville !